Voici le pastiche d’un conte érotique chinois qui figure dans la nouvelle La Seconde Vie d’un olisbos.

Mon nom d’auteur : ChocolatCannelle. L’eBook est disponible sur Amazon à cette adresse : https://www.amazon.fr/dp/B01N25IVRM

Dans la province du Fujian vivaient dans la même maison deux sœurs également respectées pour leur honorable conduite. Jamais on ne les voyait s’attarder sur le marché auprès des fripons diseurs d’aventures ou des vieilles qui vendaient des onguents aux vertus magiques.

Dajie l’aînée comptait vingt printemps. Elle était mariée avec un fonctionnaire attaché au tribunal qui la délaissait pour de longs voyages à travers la campagne, où il s’enquérait de nouvelles affaires judiciaires. Il était si souvent parti que Dajie se languissait près du foyer. Heureusement, sa cadette, Xiang-aux-yeux-agiles, savait la divertir : elle inventait des charades et peignait des paysages aux tons rougeoyants qui causaient l’admiration de son aînée. Elle n’avait de plus pas sa pareille pour raconter des histoires, bien qu’elle ne fréquentât aucun lieu où des bonimenteurs récitaient les gestes de héros ou les aventures scabreuses d’un quelconque ouvrier et de sa femme pécheresse. Ses histoires, elle les puisait dans son esprit seul. Et parce qu’elle n’avait autour d’elle que des âmes simples, elle mettait en scène le quotidien de petites gens : la femme qui en lavant son linge perdit un bijou d’or fin, le marchand de vin éméché qui fut volé pendant son sommeil… Chaque histoire commençait par quelques vers que Xiang tenait d’un livre qui ne quittait jamais sa chambre.

Un soir où le chagrin avait enveloppé Dajie comme la brume qui couvrait à l’aurore le fleuve Jiulong Jiang, Xiang alla chercher ce livre secret. Entre chaque poésie qui célébrait les saisons, que Xiang connaissait par cœur, se glissaient des estampes promptes à faire rougir l’homme le plus expérimenté dans les privautés de la chambre.

Dajie s’étonna : « D’où te vient, petite sœur, un tel ouvrage qui offusque les sens ? » Xiang ne répondit pas, mais ouvrit le livre qui représentait une scène d’amour entre une femme aux jambes largement écartées et un homme qui embrassait sa fleur intime.

Dajie soupira. Son mari n’avait jamais baisé ainsi ses lèvres d’amour. Combien de récréations des corps n’avait-elle pas eu le loisir de découvrir à cause d’un époux qui préférait le travail du tribunal à celui dévolu aux amants ?

Pour comprendre l’étendue de son inculture, Dajie tourna fébrilement les pages du livre aux mille gravures. Xiang ne perdit rien de l’agitation de sa sœur. Elle la partageait, même, sachant par avance sur quelles figures son aînée poserait les yeux. Côte à côte, liées désormais par un secret licencieux, les deux sœurs étaient ombrées d’un fard de honte et de joie mêlées.

« Ainsi, de telles acrobaties mèneraient mari et femme vers un bonheur qui lui était hors de portée ? » songea Dajie. Outre le lointain travail de son homme qui desservait ses amours, Dajie décela une cause supplémentaire à son insatisfaction : l’ignorance des mille et une façons de célébrer l’union du yin et du yang, comme les petits doigts caressants qui se faufilent et par la voie naturelle et par le conduit étroit, les mouvements de langue en spirale sur le bourgeon dégagé de ses feuilles, la prise ferme du coquillage sur le mât dressé au milieu d’une tempête. Rien, absolument rien… Son limaçon de mari était un niais qui ne l’avait jamais transportée, qui n’avait jamais fait naître sur son visage cet air extatique que Dajie contemplait sur les figures de papier.

« Oh, petite sœur ! Pourquoi m’as-tu montré mon infortune ? Ton beau-frère est un rustre qui ignore comment butiner mon calice de nacre. Hélas pour moi, à moins de prendre un amant et de perdre ma probité, je ne connaîtrai jamais les bienfaits de l’action combinée des mouvements du bambou et de doigtés habiles ! » Xiang ne sut que répondre aux lamentations de sa sœur ; elle ne put la consoler et se sentit fautive de l’avoir conduite à admirer le beau livre des amours.

Alors que sur sa couche, elle cherchait le repos, lui vint cependant une idée. Elle sortit le livre de sa cachette et le compulsa à la hâte jusqu’à la page qui apporta une solution à son inquiétude. Inutile pour Dajie de prendre un jeune amant vigoureux et agile pour câliner sa solitude ! Il existait un autre moyen de combler la béance de ses chairs, qui la placerait hors de danger des commérages et lui épargnerait la vengeance de l’époux outragé, si parvenait à ses oreilles le récit de son inconduite.

C’est ainsi que, dès le lendemain, Xiang s’enquit d’un fabricant d’objets de plaisir. Elle parlementa avec une entremetteuse pour se faire livrer au plus tôt un manche à femme, de taille médiane seulement, car elle se doutait qu’après avoir goûté à un olisbos d’envergure, Dajie ne pourrait se satisfaire des maigres prouesses d’un mari venu, entre deux procès, répandre sa pluie fertile.

Nul ne devait avoir écho des jeux d’alcôve de l’épousée, afin que ne s’ébruitât pas le fait que la belle cherchait à combler sa cave béante : il aurait tôt fait de se présenter à sa porte des vilains en rut. Tout se déroula dans la plus grande discrétion. Xiang offrit le soir venu le joli présent à Dajie qui considéra l’objet avec hésitation avant de comprendre son usage. « Oh, petite sœur, mon écureuil volant, Xiang-aux-yeux-agiles, comment te remercier ? Tu m’évites de salir ma réputation et tu œuvres à mon bonheur ! » La cadette ne souhaita rien en échange. Le sourire de sa sœur lui suffisait.

Il lui suffit, du moins, pendant quelques jours. Cependant, la femme est changeante, ainsi que le chantent les poètes, écoutez-les, hommes infortunés ! Par elles viennent les ruses et viennent les plus grands bouleversements ! Il ne s’était écoulé que deux journées avant que Xiang se désole en songeant que les nuits de Dajie valaient cent fois mieux que les siennes. Quand des bras forts porteraient-ils son palanquin ? Quand connaîtrait-elle à son tour les transports amoureux sur son lit d’épousée ?

Un soir, alors que la bougie était soufflée depuis longtemps, Xiang se tournait dans son lit sans trouver le sommeil. Elle se décida alors, glissa hors de ses draps pour arpenter, les pieds nus, le couloir qui menait à la chambre de sa bienheureuse sœur. Elle tira la porte et secrètement se posta au pied du lit. Des gémissements accompagnés d’une haletante respiration la renseignèrent sur les agissements de la maîtresse des lieux. Xiang se tapit sur la couche moelleuse, au milieu des coussins, à côté de Dajie. Celle-ci sursauta à son approche.

« Chut, n’aie pas peur, dit alors Xiang. Tu souhaitais me remercier, alors voici ce que j’aimerais : que tu me laisses partager tes nuits de délice avec le compagnon de bois. » Dajie ne put refuser une telle requête : ne devait-elle pas son bonheur à la générosité de sa petite sœur ?

Elle ouvrit grand les bras pour inviter Xiang à s’y réfugier. Puisque le petit-monsieur de bois avait deux extrémités, elle attribuerait à sa compagne de jeu la seconde tandis que la première poursuivrait son office.

On ne vit jamais sœurs plus soudées que ces deux-là.